Philippe Gabilliet répond à Yves Vilaginés dans le journal Les Echos du 19 novembre 2014
L’optimisme est-il inné ou est-ce un état d’esprit acquis ?
Il faut faire une distinction entre la disposition, c’est-à-dire le trait de caractère, et le comportement au quotidien. La posture optimiste tient à trois choses. Face à une réalité ambiguë, l’optimiste regarde en priorité les forces. C’est également un anticipateur positif. Enfin, il affirme une croyance dans le pouvoir de la volonté et de l’action.
Les entrepreneurs sont-ils plus optimistes que les autres ?
Parmi les entrepreneurs, il y a de tout. Je suis incapable de dire s’il existe une personnalité type de l’entrepreneur. Mais, à partir du moment où la réussite est fondée sur la qualité des interactions avec autrui, alors oui on a intérêt à mettre en oeuvre des comportements d’optimisation.
Entrepreneurs et optimistes ont foi dans le pouvoir de l’action, même quand les éléments ne sont pas favorables. L’entrepreneur est, structurellement, un résilient. A un moment donné, c’est quelqu’un qui a dit « non » au statu quo. Beaucoup d’entrepreneurs se lancent, alors qu’une majorité des gens leur dit qu’ils sont fous.
Mais peut-on apprendre ces comportements d’optimisation dont vous parlez ?
On peut identifier certaines contre-indications. Par exemple, le perfectionnisme va de toujours attendre d’être prêt pour se lancer, et finalement repousser sans cesse. On peut aussi apprendre à éviter certaines erreurs techniques : bien bâtir un « business plan », les étapes méthodologiques pour transformer une idée en projet, mieux raconter son idée.
En résumé, on peut s’entraîner à devenir un meilleur porteur de projet, mais ce qu’on ne peut apprendre c’est le désir, la pulsion prométhéenne de création de valeur économique qui, pour certains, est existentielle. L’entrepreneur doit aussi se méfier de lui-même : est-il certain de vouloir ce qu’il veut ? Il faut se méfier des entrepreneurs réactionnels, qui créent contre un système économique qui les exclut ou par suivisme de la tradition familiale.
La première qualité des entrepreneurs est la passion (*). Est-ce la même chose ?
La passion est un concept philosophique équivalent à celui du désir chez les psychologues. L’entrepreneur sera d’autant plus résilient qu’il sera porté par une passion. Son désir va nourrir sa persévérance.
Pour ma part, je pose clairement la question de la différence entre la persévérance et l’entêtement pour celui qui le vit. Et il me semble que c’est le sentiment d’énergie. Le persévérant a envie de se relever. Dès que la frustration prend le dessus, que les difficultés drainent notre énergie et nous épuisent, alors il est temps de passer à autre chose.
Comment nourrir cette passion ou ce désir ?
Cela se cultive avec les autres. Il faut parler de son projet autour de soi.
Mais comment rester lucide ?
La posture d’entrepreneur est fondamentalement égoïste. C’est le projet d’abord ! Il y a donc un prix à payer. L’équilibre entre vie privée et vie professionnelle est un mythe. il faut plutôt parler d’intégration des contraintes. L’entrepreneur doit négocier avec son entourage en termes de disponibilités. Et, selon moi, il y a deux signaux d’alerte : lorsque les liens sociaux commencent à se déliter, les conflits avec son conjoint, ses enfants, ses amis se multiplient et si, en plus, il y a « drainage psychologique », à travers un sentiment de ras-le-bol, de prise de tête.
Mais il est presque impossible de s’en rendre compte par soi-même. Aussi, je recommande d’avoir un tiers sauveur, quelqu’un, si possible en dehors de son univers très proche, à qui on donne un droit d’alerte sur nous-mêmes. On peut même le formaliser par écrit.
Quid de la chance ? Existe-t-elle ?
La chance relève de l’expérience. Certains disent qu’ils en ont. Il s’agit d’un événement inattendu et hors de contrôle qui se révèle bénéfique pour soi. Mais c’est, la plupart du temps, la rencontre entre un événement et une action. Les « chanceux » partagent certaines caractéristiques : ce sont des gens attentifs, ils possèdent une sorte de radar à opportunités ; ils portent un projet sur lequel l’événement va s’articuler ; ce sont des hommes et des femmes en connexion avec les autres ; ils possèdent un bac à compost intérieur qui recycle les épreuves et les échecs en accélèrant les phases de deuil ; enfin, il ont de l’audace, ils essaient, ils expérimentent.
Yves Vilaginés, les Echos 19 novembre 2014
(*) « Inné ou acquis, l’ADN de l’entrepreneur décodé », étude EY, 2011.
Source : http://www.lesechos.fr/thema/optimisme-creation/0203927370537-philippe-gabilliet-lentrepreneur-et-loptimiste-croient-dans-le-pouvoir-de-la-volonte-et-de-laction-1065890.php
Et vous, qu’en pensez-vous ?
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Merci à Philippe Gabilliet pour cet article très juste entre vision et action. Le bon entrepreneur a quelque part la tête dans les étoiles et bien les pieds sur terre. J’aime beaucoup l’idée d’une tierce personne extérieure au projet qui peut tirer la sonnette d’alarme. C’est tellement chronophage et passionnant de nourrir et de faire aboutir un rêve entreprenarial ! Entrons toujours plus dans la gratitude avec courage et lucidité !
L’optimisme se nourrit surement de volonté et d’action. J’avais bien aimé la courte vidéo de Philippe Gabilliet sur la « chance » (que j’ai souvent citée et même relayée sur mon site).
Se relever, toujours se relever, peut-être est-ce cela l’optimisme… Car la confusion renvoyée par ses pourfendeurs est que « l’optimiste » n’est pas « réaliste ». Ceux-là pensent-ils que les épreuves épargnent certains privilégiés ?
Pour entreprendre, il existe un prix à payer qui peut être élevé… la réussite réside davantage dans une volonté de se relever une fois encore, une fois de plus. On peut probablement appeler ça « l’optimisme ».
Merci pour ces mots forts de réalisme et de simplicité. Je me retrouve tout à fait dans votre discours même si mon statut était libéral et non entreprise. Je suis entièrement d’accord, pour l’avoir vécu, avec ce que vous écrivez sur la prise de risque, l’influence de l’environnement, la chance.
Optimisme et pessimisme sont deux postures liées à une même incertitude : l’avenir.
Face aux évènements, aux joies et contraintes de l’entrepreneuriat, deux attitudes sont donc possibles
1) La vision pessimiste, qui conduit au doute et à l’absence de prise de risque.: vous n’osez plus oser.
2) la visions optimiste, qui encourage l’action, ainsi que le dit si bien Philippe Gabilliet.
D’où deux questions concrètes auxquelles répondre avant de vous lancer (ou si vous êtes en chemin, assaillis par les questionnements) .
a- De ces deux attitudes, quelle est la plus porteuse, celle qui m’emmènera le plus loin ?
b- Que ferais-je, là, tout de suite… si j’étais optimiste ?
Faites-en un réflexe.
Vous gagnerez en souffle, en envie d’avoir envie, en endurance, et franchirez bien des obstacles.
Enfin, bien entendu, l’approche optimiste des situations est sans rapport avec une attitude béate, façon « bisounours ».
Le must ?
Entretenez une (petite) dose de pessimisme, bien utile pour vous alerter… et forgez-vous une personnalité optimiste reposant sur un raisonnement, une philosophie et… le goût de l’action !