À 87 ans, Michel Serres consacre sa jeunesse d’esprit à la réfutation des idées fausses et du pessimisme ambiant. Un bain de jouvence !
Rencontre exclusive avec l’Express.

L’Express : Une des idées les plus répandues voudrait que nous vivions dans une époque plus dangereuse que jamais. Qu’en est-il vraiment selon vous ?
Michel Serres : Dès qu’on évoque des tensions internationales, je suis bien contraint de me référer au monde que j’ai connu dans ma jeunesse. Les conflits étaient alors très nombreux et successifs – je parle de guerres symétriques qui opposaient alors un Etat à un autre, ou qui mettaient aux prises deux armées entre elles. Mon époque a connu beaucoup d’affrontements armés : la guerre d’Espagne, une autre entre le Japon et la Chine, la Seconde Guerre mondiale… Bref, une succession tragique qui a causé aux alentours de 100 millions de morts.
Depuis cette hécatombe, je suis obligé de constater qu’il n’y a plus de guerres symétriques. Quant aux attentats terroristes, qui soulèvent légitimement notre inquiétude, il faut, là encore, ne pas oublier le passé. Tout au long du XIXe siècle, il ne se déroulait pas un mois, à Paris ou dans les grandes capitales européennes, sans que ne se produise une explosion, un tir ou une attaque qui visait les dirigeants ou les souverains d’alors. Le tsar Alexandre II a été tué par une bombe et le président Sadi Carnot a perdu la vie après avoir été poignardé par un anarchiste. A Sarajevo, que je sache, c’est bien un attentat qui a déclenché une déflagration mondiale.
Si vous tapez sur Google « causes de mortalité dans le monde », vous vous apercevez que, sur la liste décroissante qui apparaît, une des dernières causes figure sous le titre « guerres, violences, terrorisme ». En clair, malgré l’impression que nous avons de vivre dans un monde terrifiant, nous sommes en paix.

L’Express : II reste d’autres facteurs de tensions ; la mondialisation et la révolution numérique…
Michel Serres : Il faut être objectif. Il est exact que les nouvelles technologies ont comme effet de détruire, pour l’heure, plus d’emplois qu’elles n’en créent. On s’oriente donc vers une nouvelle société, assez intéressante, vis-à-vis de laquelle nous n’avons pas de vision d’espérance, alors que se prépare une transformation radicale de notre rapport au travail.
On a déjà connu la mutation des cols bleus en cols blancs, le changement de l’action de production aux activités de service, il nous reste à affronter la robotisation. Il nous manque une philosophie réelle de ce nouveau cap, susceptible de nous projeter vers une société moins structurée par le travail qu’elle ne l’est aujourd’hui. C’est en réalité une perspective assez enthousiasmante, mais il faut la penser – ce qui paraît très difficile.
Il faudrait presque imaginer une civilisation sans travail, que l’on n’a jamais connue, ce qui suppose en premier lieu une distribution plus égalitaire des tâches. Nous avons besoin à ce stade d’une utopie.

L’Express : Vraiment?
Michel Serres : Mais oui ! Que je sache, les socialistes utopiques du XIXe siècle ont été beaucoup plus féconds qu’on ne le croit. C’est à eux que l’on doit des idées folles – les crèches pour les enfants, les banques pour les pauvres, des ébauches de sécurité sociale, les mutuelles, etc. – qui nous rendent la vie douce aujourd’hui, ce sont eux qui l’ont inventé.
Les utopistes, non pas les socialistes scientifiques, lesquels n’ont engendré que des systèmes carcéraux.
Je suis tout à fait pour l’utopie ; aujourd’hui, on fait un bond en avant vers un monde complètement nouveau, mais on n’arrive pas à le concevoir ni à le préfigurer, parce que l’on raisonne avec un mental du passé. Pour ne pas se tromper sur le futur, place à l’imagination.

L’Express : À condition de résoudre les problèmes présents… Or l’air n’est plus respirable, l’eau est polluée, les glaces fondent, les mers montent…
Michel Serres : J’ai consacré deux livres à ce sujet. Il est vrai que nous sommes réellement en danger. Je crois que si l’on continue dans la même direction, le dérèglement climatique, déjà en marche, peut s’avérer fatal.
Mais, il y a quelques années, après s’être inquiété du trou dans la couche d’ozone et pris des mesures appropriées, on a constaté que celui-ci se refermait. J’en déduis que nous ne sommes pas démunis ; on peut agir contre le danger du retournement de la nature. À condition que tout le monde soit d’accord, et là, on n’y est pas encore. Regardez Donald Trump…

L’Express : En attendant, chacun de nous peut constater dans sa vie quotidienne les effets de la pollution, de l’abus des pesticides…
Michel Serres : Si cette idée était si vraie, notre espérance de vie ne continuerait pas à croître. Durant les soixante-dix dernières années, on a gagné une quinzaine d’années d’espérance de vie en moyenne, alors que l’usage des pesticides se répandait comme jamais. Cet allongement de la durée de vie n’est pas seulement dû aux progrès de la médecine, de la prévention et des médicaments plus efficaces ; la qualité de l’alimentation joue aussi un rôle important.
Quand on critique l’alimentation contemporaine, on oublie complètement qu’aujourd’hui tout est surveillé sur le plan sanitaire et médical, de la chaîne du froid à la diffusion des bactéries.
De mon temps, la famille était malade en raison de ce qu’elle mangeait. J’ai attrapé la fièvre aphteuse quand j’étais jeune en buvant simplement un bol de lait ; on n’en meurt pas, mais il est préférable de s’en passer…
Il reste un côté négatif : on est désormais coupé du paysan, le père nourricier de l’humanité, on ne voit plus son travail, sa peine (souvent sa détresse), son produit de base, son lien à la terre. Or il faut retrouver la main de l’agriculteur, rétablir la provenance d’un produit, afin de relier notre consommation à la nature. Nous avons besoin de ce lien humain.

L’Express : A propos de lien humain, celui qui relie deux êtres de la façon la plus intime, la sexualité est aussi une des grandes victimes de notre époque.
Michel Serres : C’est presque le contraire. De la sexualité, on ne parlait pas auparavant. Les organes du corps étaient tout le temps en train de monter : quand on avait mal à l’estomac, on disait qu’on avait mal au cœur, pour soutenir leurs seins, les femmes portaient un soutien-gorge… Tout ce qui touchait à la sexualité a très longtemps été tabou.
Je crois que ce n’était pas seulement pour des raisons religieuses : la syphilis, qui était un fléau, explique beaucoup de choses. Avant 1939, sur 10 malades que recevait un médecin de famille, il y avait encore 2 ou 3 syphilitiques. La plupart des grands esprits du XIXe siècle sont morts de cette maladie : Maupassant, Flaubert, Schubert…
L’apparition des antibiotiques a soudain effacé ce souvenir et modifié en profondeur notre rapport à la sexualité. Par conséquent, dire que l’amour était autrefois plus romantique correspond au prototype de l’idée fausse : les enfants naturels étaient légion, les filles-mères n’étaient pas reconnues, les destins humains étaient le plus souvent épouvantables.

L’Express : Est-ce que la culture, la notion même de civilisation, n’est pas notoirement sacrifiée?
Michel Serres : Vous aimez le bon vin ? Alors, vous n’ignorez pas que sur une population donnée, il n’y a guère plus de 2 à 3 % de gens qui connaissent vraiment le bon vin. Il en va de même pour la musique ou pour la peinture. L’expertise sur un point précis est réservée à une minorité ; je crois que ce chiffre est constant à travers les siècles, les révolutions et les sociétés. En fait, les personnes finement cultivées, qui connaissent en profondeur leur langue, ne sont pas très nombreuses.
Mais il se trouve que les nouvelles technologies de l’information et les manières modernes de communiquer ont voulu que les incultes prennent beaucoup de place ! Dans l’Antiquité, on écoutait Virgile et Suétone, au Moyen Age, Villehardouin, ensuite Corneille… Aujourd’hui, c’est la télé et le gazouillis.

L’Express : Le gazouillis?
Michel Serres : Oui, c’est la traduction en français du mot « tweet ». Les incultes ont la parole, alors qu’auparavant ils ne l’avaient pas. C’est là le grand changement.
« Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles. » Umberto Eco

L’Express : Êtes-vous inquiet de l’évolution de nos démocraties ?
Michel Serres : Le mot crise est très bon. D’une crise, on crève ou on se remet. Des médecins ont récemment découvert une notion fondamentale : la guérison n’est pas le retour à l’état précédent. Si c’était le cas, cela signifierait que les mêmes causes produisant les mêmes effets, il faudrait s’attendre à une rechute.
Non, la guérison est l’invention par l’organisme d’un nouvel état, qui n’était pas prévisible et qui permet de sortir de la crise. Nos démocraties sont en crise car elles restent structurées par des institutions inventées en un temps où le monde n’était pas ce qu’il est devenu avec la mondialisation et les révolutions technologiques permanentes. Il y a un décrochage entre notre cadre politique et l’état d’accélération du monde.
Une nouvelle démocratie doit advenir. Au moment de la révolution de l’imprimerie, Luther a lancé : « Tout homme est pape une bible à la main. » Aujourd’hui, tout homme est président en brandissant toutes les données chiffrées qu’il peut immédiatement trouver sur Internet.
Un horizon immense s’ouvre. Face auquel nous manquons d’un bon philosophe. Un philosophe qui réinventerait la politique.

Propos recueillis par Christian Makarian
Source : http://www.lexpress.fr/culture/livre/michel-serres-je-suis-tout-a-fait-pour-l-utopie_1895567.html

Prochains Événements Optimistes :

Dîner des Optimistes à Strasbourg le jeudi 27 avril 2017 
Virginie PATTEIN et Bertrand KAUFFMANN de Révélateurs de Compétences, Estelle et Jean-Daniel MULLER de Siel Bleu, Patrick MOISSON et Aimé KUNTZ de Metaformose, vous convient au second repas de la Ligue des Optimistes de France à Strasbourg, via Révélateurs de Compétences.
Thème de la soirée : L’optimisme ! Parlons-en ! avec de nombreux témoignages sur les thèmes suivants :
Optimisme et Santé
Optimisme et travail
Optimisme et Sport
Optimisme et Sourire
Optimisme et Famille
INTERVENANTS :
– Pour Révélateurs de Compétences : experts en stratégie de recrutement, experts en transition professionnelle, Virginie PATTEIN et Bertrand KAUFFMANN accompagnent les décideurs à mieux recruter leurs collaborateurs et aident les cadres en repositionnement professionnel à trouver leur voie.
Mieux, ils révèlent leurs compétences…
Coachs Opérationnels, nous accompagnons du « Jeunior » au « Senior », en poste ou non, dans leur transition professionnelle, transition choisie ou subie…
– Pour Siel Bleu : Estelle et Jean-Daniel MULLER
Une bonne condition physique influence chaque activité de la vie quotidienne et favorise le prolongement d’une vie indépendante et active.
Le Groupe Associatif Siel Bleu propose des programmes utilisant l’Activité Physique Adaptée (APA) comme outil de prévention santé et de bien-être.
– Pour Metaformose : Patrick MOISSON et Aimé KUNTZ
Meta est un préfixe qui provient du grec μετά (meta) après, au-delà de, avec).
Il exprime, tout à la fois, la réflexion, le changement, la succession, le fait d’aller au-delà, à côté de, entre ou avec.
Nous voulons faire grandir le collaborateur pour l’amener à développer les résultats de l’entreprise par ses apports personnels, son implication et le dépassement de soi.
Le conduire à la réussite pour faire gagner toute l’équipe.

Les places sont limitées (50 à 60 places) et nous aimerions réunir des personnes venant partager leur expériences, vu les thêmes spécifiques qui seront présentés.
Renseignements auprès de Virginie PATTEIN (patteinv@revelateurdecompetences.fr) ou Bertrand KAUFFMANN (kauffmannb@revelateurdecompetences.fr)

Dîner des Optimistes à Nancy le 28 avril
Du jardin à l’assiette, le printemps recèle de surprises visuelles et gustatives. « Un jardin extraordinaire« , voici le thème du prochain dîner des optimistes à Nancy.
Pour cette soirée printanière, la Famille Mengin nous ouvre les portes de leur restaurant, Les pissenlits à Nancy. Jean-Sébastien, maître restaurateur et Clothilde son épouse (fleuriste de formation) vous emmènent à la découverte des merveilles du jardin et du printemps (légumes printaniers, légumes oubliés, fleurs à déguster)… Venez vous étonner et réveiller vos papilles lors d’une soirée sur le thème du Beau (esthétique visuelle), du Bien (qualité des produits) et du Bon (convivialité).

Notre célèbre jardinier lorrain Roland Motte nous présentera les merveilles que le jardin fournit à nos assiettes et à notre santé.
Elisabeth Grimaud, doctorante en psychologie interviendra durant pour parler des produits du jardin et de leurs bienfaits sur le bien-être et sur le niveau de bonheur de chacun.
Ce dîner sera précédé d’une séance dédicaces à la Librairie le Hall du Livre. Elisabeth dédicacera son livre, « Beau Bien Bon, la formule magique pour sourire à la vie ».

Déroulé de la soirée :
Partie 1 : 17h-19h : Rencontre et dédicaces à la librairie le Hall du Livre, 38 rue Saint Dizier à Nancy
Partie 2 : 19h-22h : Dîner au Restaurant Les Pissenlits, 27 rue des ponts à Nancy

Participation :
Réservation avant le 20 avril : 40€ (apéritif, repas complet, vin et café compris)
Réservation après le 20 avril : 42€ (apéritif, repas complet, vin et café compris)
(règlement à la réservation par chèque directement à l’ordre du Restaurant Les Pissenlits) à envoyer à : Dîner des Optimistes, Restaurant Les Pissenlits, 27 rue des ponts à Nancy, tel 03 83 37 43 97

Vous pouvez venir avec des amis. La réservation est obligatoire, car le nombre de places sera limité.
MERCI DE REMPLIR LE FORMULAIRE : https://goo.gl/forms/LPsU2fWQKWb9AwSn1

Dîner des Optimistes en Dordogne le 29 avril
Où : à l’auberge de la Nauze Fongaufié 24170 SAGELAT à 19H30
Menu :
Mise en bouche
Tarte fine d’asperges vertes au jambon de parme et parmesan
Ou Makis de truite fumé, aux langoustine, salade de jeunes pousses
Filet de sandre au vin de cassis (selon arrivage)
Ou Paleron de veau, cuisson basse température, façon Rossini
Crème brulée vanille safran (individuel)
Ou Fraisier maison aux garriguettes déstructuré
Café
Vin de Bergerac en pichet 1L pour 5 pers.
Participation : 35 euros par personne vin et café compris :
Réservation auprès de Bertrand Calmeil avant le 12 avril 2017 : bertrand.calmeil@tsf47.net et 06.07.95.22.91

PS : Soutenez notre mouvement en adhérant à Ligue des Optimistes de France (cliquez ici pour voir comment faire)