par Jacques Attali
À regarder les émissions de télévision à succès, comme à lire les prix littéraires de cette année, on a le sentiment qu’une immense nostalgie s’est emparée de la France : on aime nos rois, nos reines, nos combats, même perdus, nos musées et nos châteaux. Cet engouement dit : « Tout était mieux avant».
Ce sentiment, qu’on peut comprendre chez ceux qui se pensent dans l’hiver de leur vie, prend un tout autre sens chez les plus jeunes, révélant un grand pessimisme sur l’avenir. Il conduit à penser que, puisque rien ne peut, dans l’avenir, être mieux que le passé, tout projet de vie doit se concentrer sur la restauration de la grandeur antérieure, ou au moins sur la conservation des avantages acquis et au refus de tout risque et de toute innovation.
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Le passé est une source d’inspiration, une nourriture de l’imaginaire, un fondement de l’identité sans cesse en devenir ; mais il n’est jamais un avenir.
S’y enfermer conduirait à la tragédie, d’abord pour les autres, puis pour soi-même. Si les anciennes grandes puissances continuent de rêver ainsi sans imagination, l’avenir appartiendra aux peuples sans nostalgie et aux nations neuves. Cela renforce la prédiction d’un avenir florissant pour le Brésil, l’Inde, le Mexique, l’Indonésie, le Nigeria, l’Éthiopie. Et évidemment, pour les États-Unis, dont l’amnésie est un des moteurs.
S’oublier pour survivre ? Pas nécessairement.
Chacun peut résoudre ce dilemme, en se pensant comme un adulte en devenir.
La France ne peut retrouver le chemin de la croissance que si elle renonce au poison mortel des commémorations.
Qu’on en profite plutôt pour débattre, dans des livres, des émissions de télévision ou des discours d’hommes publics, de ce que peut devenir la France dans 30 ans, c’est à dire de la forme nouvelle de sa grandeur.
Trente ans, ce n’est pas un horizon si lointain : statistiquement, les deux tiers des vivants d’aujourd’hui seront encore là en 2045… et la quasi-totalité de leurs enfants le sera.
Cela vaut donc la peine de s’y intéresser.
Jacques Attali, dans l’Express du 24 novembre 2014
Source : http://blogs.lexpress.fr/attali/2014/11/24/mortelles-nostalgies/
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