Introduction Karima Berger, l’enfant des deux mondes

Karima Berger, écrivaine d’origine algérienne vivant en France, joue avec les institutions, notamment religieuses et culturelles, en explorant les tensions entre l’islam, la laïcité, la mystique et l’identité. Son écriture, à la fois intime et philosophique, interroge les dogmes et les cadres établis sans les rejeter frontalement, mais en les déplaçant, en les questionnant et en les hybridant. Alors directrice des ressources humaines à la Société Générale, son premier livre est publié en 1998, l’enfant des deux mondes mais depuis toujours, elle tient un journal et écrit.

Karima a présidé l’association « Écriture et spiritualité », créée en 1977, qui décerne un prix. Celui de cette année à été remis au Frère bénédictin François Cassingena-Trévedy, pour « Paysan de Dieu », chez Albin Michel.

Karima Berger, l’enfant des deux mondes, pour trois raisons

  1. Elle bouscule les cadres religieux sans les rejeter

  • Dans ses livres, Karima Berger explore la mystique musulmane (notamment à travers Hallâj, figure du soufisme persécuté pour son extase spirituelle).
  • Elle critique une vision rigide de la religion tout en valorisant une spiritualité libre et vivante.
  • Ex : Dans Les Attentives. Un dialogue avec Etty Hillesum, elle met en parallèle la mystique juive d’Etty Hillesum et sa propre quête spirituelle, dépassant les barrières confessionnelles.
  1. Elle interroge l’héritage colonial et l’identité franco-algérienne

  • Son écriture questionne le rapport entre la France et l’Algérie, entre le passé colonial et le présent.
  • Elle refuse les assignations identitaires trop rigides et cherche à montrer comment les héritages peuvent se croiser plutôt que s’opposer.
  • Elle revisite son rapport à son double héritage culturel et religieux.
  1. Elle joue avec la langue et les cadres littéraires

  • Elle mêle philosophie, poésie et récit personnel, refusant les catégories strictes du roman, de l’essai ou du témoignage.
  • Son style fluide et introspectif est une manière de contester les cadres figés, que ce soit en littérature ou dans la pensée politique et religieuse.

Karima Berger ne s’attaque pas frontalement aux institutions, mais elle les interroge en les confrontant à d’autres voix, d’autres expériences. Elle hybride les traditions, crée des ponts entre les cultures et ouvre des espaces de réflexion qui dérangent les dogmes figés. Son écriture est un acte de résistance douce, mais profondément subversive, porteuse d’espérance.

C’est pour tout cela que j’ai voulu l’interviewer pour la ligue des optimistes, et ses réponses sont retranscrites telles qu’elle me les a livrées.

 

Une définition de l’optimisme, pour vous. Karima Berger, enfant des deux

Rester ouvert

Si je suis ouverte cela me met dans un état d’optimisme.

Comme une grande clairière, un horizon une porte ouverte.

Ne pas trop attendre

Peut-être la seule attente serait-elle de savoir rester ouvert et d’accueillir en moi ce qui n’était pas prévu.

Ce n’est jamais « je veux »… c’est funeste.

Je voudrais, je souhaiterais me semblent infiniment préférables.

« Je veux » est pour moi un signe de toute puissance, de maitrise absolue… comme si je pouvais maitriser le destin … C’est une insulte au monde, à la vie tels qu’ils sont.

Dieu seul sait, donc je ne peux pas, à sa place, dire « je veux ».

Lisez « L’ouvrante » dans la traduction du Coran de Jacques Berque… c’est la première sourate du Coran, al-Fatiha.

Et le pessimisme. pour Karima Berger enfant des deux mondes

 J’aurai tellement peur de ce qui advient, que je veux le devancer, le maîtriser.

Aller plus vite que lui.

C’est ne pas croire dans toutes les possibilités du vivant.

Être sceptique.

Le désir d’enfant comme illustration

J’ai dû renoncer à ce désir si vif qui plus jeune m’apporta son lot de désillusions, de risque pour le couple. Je fréquentais alors des groupes féministes engagés et je me souviens de ne pouvoir entendre le slogan d’alors

« Un enfant quand je veux, si je veux ! »

Le sacré de la vie était pour moi bafoué. La perte du sacré.

« Quand on a rabattu le ciel sur la terre ».

J’ai reçu le cadeau de l’amour éternel qui est notre enfant et que nous faisons vivre au quotidien depuis longtemps.

J’ai l’impression qu’on a eu plein d’enfants, des voyages, des grandes résolutions.

Si j’attends ça et pas autre chose … Vous vous fermez à autre chose ; Pour moi cela a été l’écriture. Ce noyau autour de notre vie intime.

La stratégie du « j’y crois pas » est une stratégie pour garder la lueur d’espérance.

 

Ce qui a nourri l’optimisme dans votre jeunesse

Il y a des optimistes en absolu ? Avec ce que l’on voit en ce moment au niveau géopolitique … peut-on l’être ?

La nature, mes parents, mon, père, 5 enfants, un bonheur de vivre, à Médéa et Alger.

Mon père installait une table dehors pour que je travaille

C’était un homme très curieux, pas forcément très affectueux et il y avait un équilibre dans ma famille, et puis …

Les jeux, les grandes tablées, les discussions…

Un cadeau, cette enfance, même si j’ai un peu souffert, étant la dernière, quand mon frère est arrivé. J’ai vécu la trahison de ma mère.

 

La découverte de la France en 1975 a été un choc culturel.

Je suis arrivée avec peu d’argent contre l’avis de mes parents, jeune fille au pair. J’ai été frappée par la fermeture, la protection, le besoin de sécurité des gens. Un monde qui ne m’accueillait pas, qui avait peur de moi. Avant ma thèse de Sciences Politiques, je ne rencontrais personne et je rentrais seule avec le RER sur Antony.

Le mariage avec le psychanalyste Jean-Michel Hirt

Lorsque j’ai rencontré mon mari, il y a eu des obstacles, notamment pour le mariage, puisque je ne pouvais pas épouser un chrétien sans rompre avec la tradition familiale, comme musulmane. Nous nous sommes mariés, après sept ans de réflexion, et ce fut donc possible. Notre histoire a duré. Il a pris de mon esprit d’enfance, il s’en est nourri. Quand il est heureux, il est toujours en train de rire.

 

Vos crédos pour l’optimisme

Je ne suis pas dans le registre du combat, de la résistance, jamais en serrant les dents, en claquant les portes. Bien sûr j’ai quitté mon pays, je me suis mariée avec un non musulman. Mais,

J’ai toujours tenté de favoriser la fluidité, l’harmonie.

Je ne suis pas modeste. Je connais ma valeur mais je ne me sens pas fière.

Souvent Jean-Michel me dit « tu ne te rends pas compte de qui tu es ».

Tout de suite ça me raidit.

C’est comme une image qui me mettrait la pression et je n’aime pas.

Bien sûr, dans certains milieux je saurai jouer mon personnage d’intellectuelle, mais ce n’est pas moi.

La fierté n’est pas mon langage.

Le mien c’est vraiment merci, la gratitude que je pratique Hamdoulillah ;

Je l’incarne, j’en pleurerais en y pensant.

Rien ne manque, tout est bon comme c’est comme ça vient.

Évidemment vous voyez l’appartement, la lumière c’est facile à dire. Karima s’excuse presque de parler ainsi….

Et pourtant je voudrais vous raconter l’histoire de cette femme à Gaza

Sa maison vient de s’écrouler et la mère ramasse ce qu’il a à ramasser

Elle dit à sa fille qui pleure

« Dit merci mon Dieu dit merci mon Dieu »

Mais elle est folle, pourrait-on se dire.

Qu’est-ce qu’elle dit ? Tu as ta maman ; tu vas t’en sortir.

C’est une dignité.

Mets-toi debout et va de l’avant.

 

Vos amis de plume

J’ai écrit « les attentives » qui est un dialogue imaginé avec une musulmane de Etty Hillesum. C’est un livre qui a bien marché toujours chez Albin Michel. Puis en 2025, Abdelkader, l’arabe des lumières. Je m’adresse à Etty ou a Abdelkader comme des intimes.

L'arabe des lumières

L’arabe des lumières Abdelkader a accepté son destin et l’a transcendé. Lorsqu’on lui demande de prendre les armes pour lutter contre le colon, il dit non au début car c’est un homme de prière. Mais il accepte finalement et il le fera avec une grande dignité ; Il fait la guerre avec au cœur la paix. Il traite bien ses prisonniers, leur accorde un prêtre, veille à ce qu’ils soient bien nourris, soignés, interdit de les achever… des ordres qui n’étaient pas dans les règles du XIXème siècle, si l’on se rappelle les Ottomans.

J’accepte mon destin mais je le fais avec noblesse, dignité, humanité : voilà ce qu’on pourrait retenir de sa vie.

Plus tard, son renoncement est une grande leçon face à l’armée de la France, la plus puissante du monde à cette époque.

Il est optimiste et demande juste à être envoyé à Damas, auprès de son maitre spirituel, mort six siècles avant lui.  On le gardera pourtant prisonnier 5 ans, alors que le traité de paix a été signé. Trahison terrible !  Mais il reçoit des dignitaires français, dialogue avec eux sur la religion. Il fait le bien.

Napoléon III le libèrera enfin et il arrive à Damas. Il sera le sauveur des chrétiens maronites face aux druzes, et sera reconnu par les grands de son époque.

Où a-t-il puisé cette résilience, cette paix intérieure, cette dignité, qui donnent foi en l’homme donc rend optimiste ?

 

La foi pour Karima berger, enfant des deux mondes

Etty Hillesum n’a reçu aucune éducation juive. Dieu est venu en elle, c’est magnifique. Elle aidait les gens au conseil juif et remarquait: Ils n’ont rien. Je vais prendre ce peigne, ce gilet rose, comme c’était insignifiant, ils n’avaient plus aucune culture religieuse.

Pour moi la foi ce sont des moments de grâce, des moments plus intenses, où le calice est plus ouvert. J’ai eu des moments de lecture où j’ai dû fermer le livre et aller marcher. Ou des gens qui ont été bons, et qui m’ont touchée.

Je reviens à l’ouverture, l’accueil de la vie. Rilke parle de l’ouverture dans ses poèmes.

 

Votre optimisme, ses piliers

Yoga, 1 heure par jour, le soir 19H, en lançant le dîner, méditation le matin 30 mn, mon sang a circulé, j’ai les joues roses. Ce n’est plus une volonté c’est une nécessité, c’est pour se recentrer. Je suis concentrée, attentive, c’est lent, doux, sans effort. C’est le Yin yoga : on s’installe dans la posture 5 minutes et c’est par la pesanteur que les muscles vont travailler. Le muscle, les fascias travaillent d’eux-mêmes, le corps s’alourdit. Le système nerveux comme il est calme ne va plus envoyer d’impulsion.

La nourriture flexitarienne. Je ne me sens pas bien quand je mange trop ou mal.

Optimisme, pessimisme ce ne sont pas mes mots… Je crains de répondre à côté, me dit Karima. Le doute est sage conseiller mais en l’occurrence je la rassure en lui disant que tout rituel est bon à prendre pour nourrir l’optimisme… à moins que l’on parle ici de bien-être ?

 

Le développement personnel, la positive attitude

Pour recevoir des recettes, il faut déjà avoir son assise.

Renoncer au naufrage. Cela ne semble pas optimiste dans la sémantique.

Mon mari travaille beaucoup sur cette notion : « renoncer pour quelque chose ». En partant de Freud, de Moïse. Renoncer non pour baisser les bras, mais pour trouver un nouveau point d’élévation. Alors là oui on parle positif !

Pensez à Abdelkader … qui a choisi de renoncer… Il n’allait pas mettre son peuple en péril. Ce n’est pas renoncer point, c’est renoncer pour.

 

Si c’était le dernier jour dans un pays en paix, que feriez-vous ?

Je réunirais mes amis, en cercle restreint, et je ferais un bon repas … Qu’est-ce qu’il y a d’autre à faire ? On se dirait au revoir car ensuite chacun vivra son drame personnel. On prend un bon verre, on se réunit juste pour sentir un peu d’humanité, se souvenir que l’humain a aussi du bon. Pas d’objectif pour ce repas. Je ne crois pas que l’on peut se donner des objectifs et les réussir. C’est comme une croyance magique qui peut créer des illusions.

Je ne crois pas à la volonté parce qu’elle se rapproche tellement de la toute-puissance.

Accueillir ce qui vient …ça, c’est plus compliqué et c’est du boulot.

Mon seul objectif c’est d’accueillir le plus possible, avec le plus d’harmonie possible.

Partir au cap Fréhel, pour le silence, la solitude. J’écris là-bas. Peut-être qu’à ce moment je triche avec la volonté car si je veux sortir un livre je me donne les moyens de le faire.

Comme je vous comprends Karima :)

Florence Ollivier Duchamp

Déléguée Rennes de la ligue des optimistes, conférencière, engagée et romancière.

Actualité littéraire Sorti fin 2024 de « Pousser les nuages » disponible sur Fnac, Amazon et toutes les librairies. Disponible dans toutes les librairies et au livre libre, 18 rue Bleue, 75009 Paris.

Evènement Interview d’Harry Roselmack sur scène le 14 mai au Dôme de Rivesaltes en liaison avec l’association Hermetica et la ligue.

Retrouvez-moi le dimanche à 18 H sur le live INSTAGRAM d’Augustin Trapenard, pour vous partager ma passion littéraire.

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